dimanche 25 novembre 2012

[Hervé Jubert] Magies secrètes

Titre : Magies secrètes
Auteur : Hervé Jubert
Editeur : Le Pré aux clercs
Nombre de pages : 314

L'empereur Obéron règne sur la cité de Sequana. Le tyran veut faire disparaître toute magie, c'est pourquoi il persécute les êtres féeriques. Certains parviennent à trouver refuge dans l'hôtel de Georges Beauregard, l'ingénieur-mage qui travaille officiellement pour le Pouvoir.
L'agent de l'ombre se voit confier une mission par le Ministre des affaires étranges. Depuis quelques temps, des sorts s'abattent sur les proches de l'empereur. On soupçonne le Visage, une entité maléfique qu'il a jadis affrontée. Profitant du désordre, les habitants féeriques répandent la terreur. Miroirs maléfiques, jouets magiques qui se transforment en machines de cauchemars, personne n'est à l'abri. Beauregard est directement concerné car il est le fils d'une fée et d'un mortel. L'ingénieur-mage devra choisir son camp…
Une écriture talentueuse, exigeante et généreuse, solidement documentée. Une fresque pleine de furie, de merveille et de magie.


Vous aimerez :
- le côté hyper-référencé du texte
- l'ambiance théâtrale
- l'univers merveilleux dans le quotidien
- les mythes, légendes, créatures & cie complètement revisitées

Vous n'y trouverez pas :
- une véritable enquête policière
- des réponses à toutes vos questions
- un récit simple à lire

Mon avis ?
Je vais commencer par ce qui m'a surpris dans le mauvais sens : la couverture, qui n'est selon moi pas du tout fidèle au contenu. En effet, Beauregard est assez différent de celui que l'on voit sur la couverture (il a le nez cassé, par exemple, or ici il semble comme neuf, ses cheveux ont les tempes grisonnantes, etc.), et quant à Jeanne, pour tout vous dire, elle est décrite comme une jeune fille frêle, rousse, pleine de tâches de rousseurs, et pas une fois habillée de la manière présente sur la couverture. Bon, ce n'est pas très important, mais comme j'avais adoré la couverture, découvrir qu'elle n'était pas du tout fidèle aux personnages m'a plutôt agacée.
Passé cette déconvenue... c'est un excellent roman qui m'est passé entre les mains. En avant pour l'avalanche de compliments en dépit de ce début de chronique en demi-teinte. ^^

Magies secrètes, c'est un livre-monde : vous l'ouvrez, vous êtes ailleurs, pas juste parce que c'est un roman, mais parce que tous vos repères sont renversés et que, au fond, l'intrigue importe peu. Ce qui compte, c'est d'explorer Sequana...

Sequana, une ville qui ressemble étrangement à Paris, telle qu'elle aurait pu être si les féériques l'avaient peuplée avec nous. Un "Autre-Paris", issu d'un "Autremonde", une notion qui n'est pas présente dans le roman mais que j'estime tout à fait parlante ici. En effet, j'ai cru reconnaître les rues, les lieux, et les références culturelles, comme ce cher Haussman, architecte séquanais qui souhaiter des rues droites et des bâtiments neufs, au lieu des enchevêtrements de ruelles et d'impasse entre des immeubles biscornus et tout de guingois. Sequana, c'est la ville qui se modernise, dont l'architecte en chef cherche à rendre un peu de raison et de droiture aux plans, et qui par là-même chasse l'obscurité pour un trop plein de lumière, chasse la magie contre la raison. Bref, Sequana, c'est la métaphore de la modernité en marche, celle qui détruit et reconstruit. Celle qui menace les feys qui la peuplent. Mais l'intrigue n'est pas là. Ça, c'est juste le contexte, déjà hyper riche... vous ne trouvez pas ?

Dans cette ville à deux visages, à deux vitesses, vous avez un riche foisonnement de créatures, lieux étranges, personnages... c'est un régal que de les découvrir, les voir passer dans le décor. Toutes ces références culturelles, de la mythologie grecque (ah, la salle de bal de Pompéi !) à la mythologie égyptienne (ah, le personnage truculent d'Isis !), des romans de cape et d'épée (Balagniiiiii) aux poètes obscurs... pour vous citer un exemple concret, on retrouve une référence à l'Exposition d'art contemporain qui avait tant fait scandale à Paris à la fin du 19e siècle... un salon officiel, qui n'acceptait pas les photographies, seulement les peintures des courants dits "canons" à l'époque. Les photographes avaient aussitôt monté un contre-salon, si mon souvenir était bon, qui avait limite attiré plus de monde que le salon original... un sacré scandale artistique de fin de siècle, en somme, autour de la reconnaissance de la photographie comme art ^^ Eh bien voyez, cette anecdote historique réelle a été adaptée par l'auteur, à sa sauce, et glissée dans une note de bas de page (sur lesquelles je reviendrai juste après) : il y a plein de revisitages comme ça, et j'ai adoré les débusquer ^^
L'ambiance est celle de la fin du 19e siècle, avec la magie de l'inconnu écrasé par la science et le progrès toujours en mouvement. C'est très bien retranscrit, tellement qu'on se croirait en train de lire un roman qui se passerait dans un contexte historique réel, tant l'ambiance de fin 19e siècle est palpable, familière, présente.

Tout ça pour dire que, dans ce roman, de multiples références se croisent et foisonnent, à la sauce steampunk en somme. Il y en a tellement qu'on s'y perd un peu parfois mais, paradoxalement, c'est un sentiment que j'ai apprécié à ma lecture. De même, les notes de bas de page sont nombreuses, et si elles m'ont gêné au début, j'ai fini par prendre le pli et m'habituer à les lire avant de reprendre le cours de la phrase où la note était référencée.
Ajoutez à cela un style assez travaillé, parfois ampoulé mais jamais excessif, et vous obtiendrez un roman assez "touffu", complexe voire difficile à lire, mais toujours surprenant, agréable et d'une étonnante habileté ! C'est plein d'une auto-dérision discrète mais efficace, que j'ai vraiment apprécié aussi.

Mais, et l'intrigue policière, dans tout ça ? Je vous avoue que, en lisant, je l'ai trouvée bien secondaire. Déjà parce que Sequana et ses personnages sont fascinants et, d'autre part, parce que Beauregard, bien qu'il soit censé être enquêteur, se laisse surtout porter par les événements. Et on finit par se laisser porter avec lui, sans trop se soucier du dénouement, étant surtout avide des découvertes sur Sequana et ses habitants...

J'ai toutefois apprécié toute la réflexion menée en filigrane de ladite enquête, qui porte sur les masques et les jeux d'identité, à la fois dans la réalité réelle et dans la réalité théâtrale. Même dans la réalité réelle, de qui sommes-nous le masque ? Que montrons-nous ? Je ne sais pas si l'auteur voulait soulever ce point de philosophie mais, moi, c'est ce que j'ai trouvé dans ce roman : une réflexion sur l'identité, personnelle et culturelle, et la conversation de celle-ci. Une réflexion à brûle-pourpoint qui se tient au cœur d'une ville qui cherche à préserver son identité propre et sa magie, en dépit du progrès qui vient l'écraser.

En conclusion, Magies Secrètes est un roman exigeant et intelligent, rythmé et spirituel truffé de bonnes idées et de personnages attachants. S'il est parfois compliqué à lire même pour un lecteur avisé, et si certaines références culturelles me sont restées obscures, ça n'a pas gêné ma lecture, et j'ai savouré chaque page.

Merci aux éditions le Pré aux clercs et au forum de Mort-sûre pour ce roman reçu en partenariat. Encore un beau moment de lecture ! J'ai hâte de me procurer les autres titres de la collection Pandore, qui me semble vraiment prometteuse...

4/5

4 commentaires:

  1. Et ici, le site de Sequana :
    http://lesmysteresdesequana.wordpress.com
    Merci pour cette critique

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour Hervé !
      Merci à vous pour ce beau roman. Y aura-t-il une suite aux aventures de Beauregard et aux mystères de Sequana ?
      Le site est superbe, merci pour le lien :)

      Supprimer
  2. Pour la suite, j'attends le feu vert de l'éditeur.
    Nous verrons.

    RépondreSupprimer